Focus sur le revirement de jurisprudence de la Cour de Cassation par sa décision du 23 novembre 2022 n°20-21924 : Temps de trajets domicile-travail et travail-domicile des salariés itinérants
La question de la rémunération du temps de trajet d’un salarié dépend du fait de savoir si ce temps de trajet constitue un temps de travail effectif ou non.
Il est constant de considérer que le temps de trajet entre deux lieux de travail constitue bel et bien du temps de travail effectif puisque le salarié se trouve à la disposition de son employeur et ne peut pas vaquer à ses occupations personnelles. (Cass. soc. 5-11-2003 n° 01-43.109 FS-PBRI : RJS 1/04 n° 52 ; 2-6-2004 n° 02-42.613 F-D : RJS 10/04 n° 1050 ; Cass. crim. 2-9-2014 n° 13-80.665 F-PBI : RJS 11/14 n° 803 Cass. soc. 16-6-2004 n° 02-43.685 FS-PB : RJS 10/04 n° 1051).
En revanche la question du trajet domicile travail était, jusque lors, plus délicate s’agissant des salariés itinérants puisque ceux-ci n’ont pas de lieu de travail auquel se rendre quotidiennement.
Antérieurement à sa décision du 23 novembre 2022, la Cour de Cassation considérait de façon constante que les temps de déplacements domicile-travail et travail-domicile des salariés sans lieu de travail fixe ne pouvaient constituer du temps de travail effectif, mais constituaient un temps de déplacement professionnel.
Par la décision suscitée, la Cour de Cassation opère un revirement en considérant désormais que, sous condition, ce temps de travail peut constituer du temps de travail effectif et donc faire l’objet d’une rémunération ou d’un repos compensateur.
Ce revirement s’est opéré dans un contexte de divergence entre le droit du travail français et le droit du travail européen.
En effet ;
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En droit français :
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L'article L 3121-1 du Code du travail prévoit que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
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L'article L 3121-4 prévoit quant à lui que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif ; que toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie sous forme de repos ou financière ; que la part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
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En droit européen ;
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La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), considère que selon l'article 2, point 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ; lorsque les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de déplacement quotidiens de ces travailleurs entre leur domicile et les sites du premier client et du dernier client désignés par l'employeur, constitue du temps de travail effectif (CJUE 10-9-2015 aff. 266/14 : RJS 1/16 n° 81, note M. Morand p. 13).
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Alors qu’en 2018, elle avait refusé de suivre la position de la CJCE (Cass. soc. 30-5-2018 n° 16-20.634 FS-B : RJS 8-9/18 n° 539), la Cour de cassation est revenue sur cette position en 2022.
Désormais, la Haute juridiction considère que les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients peut constituer du temps de travail effectif telle tel que le prévoit l'article L 3121-1 du Code du travail sans entrer dans le champs d’application de l’article L3121-4 régissant le temps de déplacement professionnel.
Ainsi, pour déterminer si ces temps de déplacements constituent du temps de travail effectif ou du temps de travail professionnel, la Cour de Cassation examine les conditions dans lesquelles le salarié effectue ses déplacements.
Plus précisément, (comme pour les temps de trajets entre deux lieux de travail), les juges vérifient si le salarié se trouve ou non à la disposition de son employeur au moment où il se déplace.
Dans l’affaire du 23 novembre 2022, la Cour de Cassation avait constaté que le salarié devait, durant ces temps de trajets :
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Être en mesure de fixer les rendez-vous, grâce à son dispositif lui permettant de passer à des appels tout en conduisant,
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Répondre à ses divers interlocuteurs grâce à de même dispositif (clients, supérieurs, secrétaires, assistants, techniciens…)
La Cour de Cassation a également :
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Relevé que le salarié ne se rendait que très occasionnellement au siège de l’entreprise ;
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Et que son employeur avait mis à sa disposition une voiture de fonction, justement, pour intervenir auprès des clients du ressort de son affectation géographique.
En somme, que le salarié, durant ces temps de trajets, se trouvait bien à la disposition de son employeur et ne pouvait donc vaquer librement à ses occupations personnelles….
Ces éléments d’appréciation ne sont pas limitatifs et il appartient à chaque salarié de démontrer en quoi il se trouverait à la disposition de son employeur durant ces temps de trajets.
Il sera donc nécessaire, pour le salarié, d’apporter au débat les éléments de preuve qui permettront de démontrer les conditions dans lesquelles se déroulent ces trajets.
Samira CHELLAL
Avocat à la Cour